Plus qu’un camp, une ville.
Depuis les premiers mois de l’année 2009, plus personne ne peut entrer à Achraf, exceptés les forces armées irakiennes et les agents du régime iranien. Ceux qui s’y rendirent auparavant, dont une quinzaine d’habitants du Val d’Oise, s’attendaient pour la plupart à n’y trouver qu’un campement militaire avec des tentes et quelques baraquements. Grande était leur surprise lorsqu’après avoir été contrôlés par les G.I. stationnés à proximité, ils franchissaient le gigantesque portail de l’entrée principale, encadrée par deux immenses statues de lions, symboles de la bravoure et de la prééminence de la vérité et de la justice. Ils se trouvaient alors au sein d’une vaste cité de 36 km2 dotée de tous les équipements d’une ville moderne.
Quand les Moudjahidine s’y sont installés en 1986, il n’y avait là, en plein désert que quelques bâtiments inachevés, sans eau, sans électricité. Ils y ont tout construit de leurs mains, souvent en un temps record : une université, deux hôpitaux, deux cliniques avec laboratoires d’analyses, service de radiologie et bloc opératoire, de vastes salles polyvalentes, une mosquée, un centre commercial, un musée du terrorisme, un musée des martyrs.
Parcourant le site, les visiteurs circulaient sur de larges allées bordées d’eucalyptus et découvraient de vastes espaces verts soigneusement entretenus alternant avec un terrain de football, quatre piscines olympiques, un immense bassin nautique. Aux principaux carrefours, ils apercevaient des monuments commémoratifs, des statues de héros ou de poètes, la Tour Azadi (de la liberté) et ça et là les reconstitutions à petite échelle, des principaux monuments de l’Iran. Ils pouvaient se recueillir au cimetière où sont enterrées les victimes des bombardements des forces de la coalition qui prirent la ville pour cible après un accord avec Téhéran pour garantir la neutralité de l’Iran dans le conflit. Les résidents leur faisaient visiter, avec fierté, leurs équipements informatiques, leurs studios de télévision et une zone industrielle très bien équipée avec des machines souvent construites sur place, qui produisait des biens et des services permettant à la ville une certaine autosuffisance et des ressources financières nécessaires à sa survie. Une boulangerie industrielle y côtoyait une fabrique de coca et toutes sortes d’ateliers.
Les femmes aux commandes
Par réaction contre le machisme des mollahs, les Moudjahidine ont décidé de faire confiance aux femmes et de leur confier les plus hautes responsabilités. Elue pour deux ans, la secrétaire générale de l’OMPI préside démocratiquement aux destinées d’environ 3 400 personnes dont un millier de femmes, à la tête d’un conseil de direction exclusivement féminin.
Trois générations cohabitent à Achraf. La plus âgée a connu la dictature et les prisons du Chah. La génération intermédiaire est celle qui s’est opposée à la confiscation du pouvoir par Khomeiny et a passé de longues années dans ses geôles. La plus jeune n’a connu que la dictature islamique et a fui l’Iran pour se battre contre elle. Un grand nombre de résidents sont venus volontairement d’Europe et d’Amérique du Nord. La plupart ont fait des études supérieures. Ce sont des professeurs d’université, des scientifiques, des médecins, des ingénieurs. Ils ont quitté leur emploi et leur vie confortable en Occident dans l’unique but de libérer l’Iran.
Sport et musique
Les résidents attachent une grande importance aux activités sportives et artistiques. Tout au long de l’année des compétitions sont organisées dans un grand nombre de disciplines avec une place importante réservée aux sports traditionnels iraniens. Des « Jeux olympiques» annuels ont vu s’affronter l’ensemble des athlètes dans une ambiance de fête. La flamme olympique était allumée au moyen d’une flèche enflammée renouvelant le geste mythique d’Arach qui fut, selon la légende, chargé de marquer la frontière de la Perse en lançant une flèche le plus loin possible. Sachant que la distance parcourue par son projectile était décisive pour sa patrie, il y mit toute sa force et rendit l’âme après son exploit.
La pratique de la musique et du chant est pour les résidents une façon de marquer plus encore leur opposition au régime des mollahs qui depuis plus de trente ans fait preuve d’une hostilité profonde à l’égard de l’art et des artistes. Pour les mollahs, la poésie, la musique et les autres formes de l’art ne sont acceptables que si elles servent leurs intérêts. C’est pourquoi, au-delà de l’aspect artistique, chaque concert donné à Achraf est un acte de résistance contre la dictature religieuse et son idéologie intégriste. Les premières années, les fêtes étaient simples avec seulement quelques musiciens. Maintenant, Achraf dispose d’un grand orchestre symphonique, de chorales et de solistes talentueux qui donnent régulièrement des concerts de musique traditionnelle et moderne. Chose inimaginable dans l’Iran d’aujourd’hui : la moitié des interprètes sont des femmes.
L’occupation d’un tiers de la superficie du camp par l’armée irakienne a considérablement réduit ces activités sans les interrompre tout à fait.