Trente ans après la prise du pouvoir par Khomeiny et l’institution en Iran d’une république islamique qui n’a de république et d’islamique que le nom, une crise sans précédent secoue depuis bientôt trois moisle régime théocratique qui a fait main basse sur l’économie de pays, a privé les citoyens de liberté et ne se maintient au pouvoir que par la terreur.
C’est une fraude électorale caractéristique des régimes totalitaires qui mit le feu aux poudres, lorsque Moussavi, l’un des quatre candidats autorisés par le Guide suprême à se présenter à l’élection présidentielle, s’estimant vainqueur du scrutin contesta les résultats officiels qui donnèrent largement gagnant le candidat officiel du Guide : Mahmoud Ahmadinejad. Les partisans de Moussavi descendirent dans la rue pour protester. Ils furent rapidement rejoints et submergés par tous ceux, et plus particulièrement les jeunes qui rejettent un système de gouvernement datant du Moyen-âge et veulent vivre avec leur temps sans tabous ni contraintes. Bien entendu, le régime mobilisa toutes ses forces répressives pour étouffer dans l’œuf le soulèvement mais malgré des milliers d’arrestations suivies de tortures et d’exécutions il ne put empêcher le mouvement de protestation de se poursuivre et de s’amplifier ouvrant une profonde brèche dans le système du tout religieux (Velayat e Faqih). On vit de hauts dignitaires du régime prendre leurs distances, sans pour autant le désavouer, avec le Guide suprême Ali Khamenei. Le 17 juillet, lors de la prière du vendredi à Téhéran, l’ancien président Rafsandjani, rival déclaré d’Ahmadinejad, a critiqué dans son sermon le processus électoral et demandé la libération des prisonniers en conseillant que soient soutenues les familles endeuillées.
Plus tard, un autre candidat malheureux, Mehdi Karoubi qui fut personnellement impliqué dans les exécutions de masse en 1981 et dans le massacre des prisonniers politiques en 1988, a publiquement reconnu les crimes du fascisme religieux en Iran dans les prisons et les salles de torture, y compris les récents viols sauvages de jeunes hommes et de jeunes femmes. Ce sont les mêmes crimes odieux résultant des fatwas ignobles émises par Khomeiny et dénoncés par la résistance iranienne, comme vider de leur sang les prisonniers politiques ou violer les jeunes filles avant leur exécution.
Plus significatif, encore, suivant l’exemple de l’ayatollah Montazeri qui, dès le 10 juillet avait lancé une fatwa destituant le Guide suprême, un groupe de dignitaires religieux de Qom, Machad et Ispahan a formulé la même exigence et déclaré qu’en faisant du corps des gardiens de la révolution sa propre armée et de la radio et de la télévision ses porte parole et défenseurs, Khamenei avait fait du régime un califat et une monarchie cléricale.
Attaqué de toutes parts, le clan Khamenei n’a d’autre ressource que d’amplifier la répression et de traîner devant une justice entièrement à ses ordres tous ceux qui osent contester sa légitimité. Il en résulte des simulacres de procès au cours desquels les accusés sont contraints, sous la menace, « d’avouer leurs crimes et de demander pardon », comme à la pire époque des procès staliniens. Nos compatriotes ont eu l’exemple des accusations sans fondement portées contre Clotilde Reiss. Citoyenne française, elle ne dut son salut qu’à l’intervention des autorités de son pays qui versèrent une importante caution, pour ne pas dire une rançon, afin qu’elle trouve asile à son ambassade en attendant le verdict. Combien d’autres jeunes filles, aussi innocentes qu’elles, sont encore détenues dans les geôles du régime et menacées des pires sévices ?
La clique au pouvoir en Iran sait par expérience que toute libéralisation du régime causerait sa perte comme cela se produisit pour le Chah trente ans plus tôt. De ce fait, un dénouement rapide et une révolution de velours sont exclus. Comme le constate l’économiste Nicolas Baverz dans une tribune publiée dans le Figaro du 17 juillet, l’Iran se trouve dans une position où la violence de la dictature ne pourra sans doute être mise en échec que par une violence encore plus grande des Iraniens. Selon lui, la révolte iranienne est parfaitement respectueuse de l’identité nationale et de la culture de l’Iran comme de la foi islamique qu’elle entend concilier avec la reconnaissance des droits politiques, l’autonomie de la société civile et l’insertion du pays dans la mondialisation. « Aux fidèles de l’islam, elle montre que la révolte des consciences est possible contre la dictature et la corruption, y compris quand celles-ci s’abritent sous le masque d’une foi dévoyée. A tous les hommes – y compris aux citoyens apathiques et rassasiés des démocraties -, elle rappelle qu’au-delà de la diversité des principes moraux et des fois religieuses, des institutions et des traditions, la liberté conserve une valeur universelle et qu’il ne reste parfois pas d’autre choix que de combattre pour la conquérir ou la préserver. »