Un précurseur de génie.
Homme de sciences, médecin, philosophe, Avicenne, de son vrai nom : Abou al-Hussein Abdallah Ibn Sina, fut l’un des esprits les plus remarquables de son temps. Il naquit au mois d’août 980 à Afshana, près de Boukhara, à l’est de la Perse, dans l’actuel Ouzbékistan. Dès son plus jeune âge, il manifesta un grand intérêt pour les sciences naturelles, la médecine et la philosophie. Doté d’une excellente mémoire et d’une faculté d’assimilation exceptionnelle, il aurait possédé, à 18 ans, toutes les sciences connues.
Sa grande chance fut de réussir à guérir d’une grave maladie le prince samanide de Boukhara, Nuh Ibn Mansûr qui l’autorisa à consulter la vaste bibliothèque du palais où il trouva de quoi satisfaire son inextinguible soif de connaissances. Le décès du prince marqua pour Avicenne le début d’une vie itinérante et aventureuse qui, après bien des péripéties, le conduisit à Hamadan où l’émir bouyde Shams o-dowleh le choisit pour vizir (ministre). Il s’imposa alors un programme de travail harassant, consacrant ses journées à la chose publique et ses nuits à la science et à l’écriture. A la mort du prince, en 1021, Avicenne, victime d’intrigues politiques, connut la prison et s’en évada, déguisé en derviche, pour gagner Ispahan auprès de l’émir kakouyde Ala o-dowleh. C’est en accompagnant son protecteur dans une expédition contre Hamadan, au mois d’août 1037 qu’il fut frappé d’une grave crise intestinale contractée dit-on à la suite d’excès de travail et de plaisir. Il tenta de se soigner lui-même, mais son remède lui fut fatal.
Une œuvre considérable.
En une quarantaine d’années, Avicenne rédigea environ 250 ouvrages, la plupart dans la langue savante de l’époque, l’arabe classique, mais parfois aussi en persan comme le Dânech Nâmeh, premier livre de philosophie écrit dans cette langue. Il marqua de son influence les encyclopédistes médiévaux et les philosophes jusqu’à la Renaissance.
Le médecin
Avicenne rassembla ses vastes connaissances en matière médicale dans son Canon de la médecine qui fut du XIIème au XVIème siècle l’ouvrage de référence en Orient comme en Occident où il fut introduit au retour des Croisades. Traduit en latin par Gérard de Crémone entre 1150 et 1187, imprimé à Milan en 1473, puis à Venise en 1527 et à Rome en 1593, il influença durant plusieurs siècles la pratique et l’enseignement de la médecine occidentale.
Concevant la médecine comme l’art d’ôter un obstacle au fonctionnement normal de la nature, Avicenne s’intéressa autant, sinon plus, aux moyens de conserver la santé qu’aux remèdes permettant de lutter contre la maladie. Il s’attacha beaucoup à la description des symptômes de toutes les maladies répertoriées à l’époque. Il décrivit avec précision l’anatomie de l’œil humain et le mécanisme de la circulation sanguine avec le système de ventricules et de valves du cœur. Beaucoup de ses intuitions allaient se vérifier plusieurs siècles plus tard, comme le rôle des rats dans la circulation de la peste, la transmission de certaines infections par voie placentaire et la présence dans l’eau et l’atmosphère de minuscules organismes vecteurs de certaines maladies infectieuses.
L’encyclopédiste et le philosophe
L’enseignement scientifique et philosophique d’Avicenne est contenu dans un ouvrage gigantesque, le Kétâb al-Shifa (livre de guérison de l’âme), une encyclopédie en 18 volumes da mathématiques, physique, métaphysique, théologie, économie, politique et musique. Son ouvrage le plus personnel, la Philosophie orientale, compilation de vingt-huit mille questions, fut détruit lors du sac d’Ispahan, en 1034. Seuls quelques fragments sont parvenus jusqu’à nous. Avicenne, fin lettré, traduisit des œuvres d’Hippocrate et de Galien et porta un soin particulier à l’étude d’Aristote, développant une philosophie personnelle plus pratique et moins intellectuelle. L’insistance sur la valeur et la destinée de l’âme humaine, la pénétration métaphysique et une extraordinaire puissance de synthèse sont les traits saillants de ce penseur et en expliquent la profonde influence sur l’Europe latine du XIIIème siècle. A des degrés divers, Albert le Grand, Thomas d’Aquin subirent cette influence de celui que Roger Bacon appela « la principale autorité en philosophie après Aristote » et dont saint Thomas parlait avec autant de respect que de Platon*.
*Will Durant Histoire de la civilisation Vol 10 L’âge de la Foi