Une vie brève mais bien remplie
Elle a traversé la vie comme un météore, brillant de mille feux avant de mourir, à 33 ans, dans un banal accident de la route. Poétesse mais aussi peintre, actrice et cinéaste, Forrough Farrokhzad vit le jour à Téhéran, en 1934, dans une famille de militaires. A l’âge de 16 ans, elle épousa Parviz Shapour, satiriste iranien de renom, et s’installa avec lui à Ahvaz. Son premier recueil de poésies parut en 1955.
D’autres suivirent l’année suivante et en 1958, année où elle rencontra l’écrivain et cinéaste Ibrahim Golestan et commença à collaborer avec lui. En 1959, séduite par cette nouvelle forme d’expression, elle alla se perfectionner en Angleterre et revint en Iran pour jouer, l’année suivante, dans un film intitulé « La proposition ».
Installée à Tabriz en 1962, elle passa à la réalisation. Sa première œuvre, « La maison noire », un film sur la vie des lépreux remporta le grand prix du documentaire au festival Oberhausen, en 1963, année où elle monta sur les planches pour interpréter la pièce de Pirandello, « Six personnages en quête d’auteur ». En 1965, le metteur en scène italien Bernardo Bertolucci réalisa un film sur l’histoire de sa vie.
La disparition de Forough Farrokhzad, le 14 février 1967, priva la poésie persane contemporaine de l’une de ses plus grandes figures.
La poésie, miroir de l’âme
L’œuvre poétique de Forough reflète l’évolution de sa pensée d’abord focalisée sur sa condition de femme seule et rebelle, puis s’ouvrant sur le monde pour décrire d’un point de vue résolument pessimiste la société et les problèmes de son temps.
Les poèmes écrits de 1952 à 1959 et rassemblés dans des recueils aux titres significatifs : La Captive, Le Mur, La Révolte, sont ceux d’une femme enfermée dans la vie conjugale et qui déplore une existence vide et inintéressante : Je pense et je sais que jamais je ne pourrai me libérer de cette cage. Même si le geôlier me libérait, je n’aurais plus la force de prendre mon envol. Elle y parle de son désir, de ses passions. L’un de ses poèmes, intitulé « Le péché » fait scandale : J’ai péché voluptueusement péché dans une étreinte chaude et pleine de feu.
Son divorce d’avec Parviz Shapour la sépare de son fils Kamyar dont elle n’obtient pas la garde et qu’elle ne reverra pas jusqu’à sa mort. Sa tristesse s’en trouve accrue : Quand ma confiance était pendue à la corde souple de la justice et que dans toute la ville on morcelait les cœurs de mes lumières, que l’on fermait les yeux enfantins de mon amour avec le bandeau de la loi et que des temps troublés de mes yeux jaillissait le sang, et que dans ma vie il n’y avait rien que le tic-tac de l’horloge, j’ai compris : il faut, il faut que j’aime à la folie.
Après 1959 et son ouverture vers d’autres formes d’expressions artistiques, Forough décrit dans « Une autre naissance » puis « Ayons foi en l’approche de la saison froide » la vie de tous les jours dans un langage simple et très imagé : La vie est peut-être une longue rue traversée tous les jours par une femme et son panier. La vie est peut-être une corde avec laquelle un homme se pend à un arbre. La vie est peut-être un écolier qui rentre de l’école. La vie est peut-être allumer une cigarette, l’espace narcotique entre deux étreintes…
Cette évolution se traduit par l’abandon progressif des termes romantiques et abstraits, qui marquaient sa première manière, au profit de mots simples désignant des objets ou des impressions de la vie courante. Amour, cœur, désir, péché, espoir, regret, mort, tombeau, ténèbres, Dieu, cèdent la place à cuisine, balai, corde à linge, tasse, armoire, jets d’eau, vendredi ennuyeux, rues vides…La jeune femme triste, repliée sur elle-même s’est ouverte au monde. Sa poésie, qui a abandonné la forme traditionnelle du quatrain pour adopter un style plus libre, est devenue palpable, vivante, marquant durablement l’univers poétique iranien.